Tra il silenzio e il tuono (Einaudi, 2024). Le silence, la musique, les mots, Roberto Vecchioni, le Professeur, poète, romancier, auteur compositeur-interprète, nous les présente dans ce qu’ils ont de plus profonds avec ce roman

Pendant soixante-treize ans, un adolescent qui devient un jeune homme puis un homme écrit des lettres à son grand-père qui lui, écrit à des amis, des connaissances et des personnages connus ou non. Mais parfois, il s’agit de personnages fictifs. Ce garçon et ce vieil homme ne se répondent jamais parce qu’il s’agit en fait d’un seul et même homme. Le garçon raconte sa vie dans ce qu’elle a de plus quotidien et aussi de plus intime pendant que son grand-père se raconte au travers de ses réflexions, de ses expériences, de ce qu’il a appris de la vie Tous les deux aiment la poésie, la littérature et la musique. Et à la fin on ne fait plus attention à celui qui parle. En fait, c’est Roberto Vecchioni qui parle au travers de ces deux personnages.  

Dans beaucoup de ces lettres, il est question de littérature et les opinions des deux protagonistes vont parfois à l’encontre des idées reçues. Si Dante est le plus grand poète, il est celui qui invente un parcours là où Pascal fait face à la vie, s’étonne et a peur. Si Pétrarque est porteur d’espoir, Dante, lui,  montre une humanité sans espoir. Ce qui vaut au poète dont la muse s’appelait Laure, l’admiration du grand-père. Carducci n’a visiblement pas la faveur du lycéen qui ne le supporte pas. Rigide, perfectionniste, nostalgique de valeurs dépassées, l’adolescent ne comprend pas pourquoi il a reçu le prix Nobel. Quant au grand-père, il est d’accord avec cette belle citation de Pessoa « Tous les hommes sont des exceptions à une règle qui n’existe pas ». La poésie est très présente dans la vie des deux protagonistes « Un poète est quelqu’un qui voit ce que nous ne voyons pas ». Eugenio Montale a résumé ce qu’est la poésie pour le grand-père et son petit-fils. Tous les deux ont la même passion pour le grec, cette langue qui a appris au plus âgé à vivre « dans un jardin aux sentiers qui bifurquent » (Titre d’une nouvelle de Jean Louis Borges). C’est aussi le grec qui a permis au plus jeune de découvrir le rythme des mots et une poésie faite de mots qui bercent l’esprit et permettent de dire si bien la mélancolie, la joie ou la douleur.

On découvre aussi au fil des lettres, les confidences de Roberto Vecchioni : une rupture amoureuse qui sera dépassée avec une rose et un billet glissés sous un essuie-glace, la rencontre avec sa seconde femme qui avait été touchée par « L’uomo che si gioca a dadi », la mort d’un enfant à l’âge adulte, douleur qui ne cicatrisera jamais. Tout est raconté avec pudeur et avec une discrétion qui reflètent toute la sensibilité des textes et de la musique de leur auteur. De temps a autre, une allusion à l’artiste qu’est Roberto Vecchioni surgit avec une citation comme celle tirée de « Canzone per Alda Merini » « Vivere come le cose che dici ». Cette injonction sera reprise dans d’autres missives et complétée par « se souvenir d’avoir été un enfant toute sa vie » ou par ce que répond un habitant de l’Amazonie à un européen « tu devrais t’arrêter de temps en temps et attendre que ton âme te rejoigne » Roberto Vecchioni raconte la genèse de Samarcanda, l’un de ses plus grands succès. L’idée de substituer le serviteur de la légende par un soldat pour corser l’histoire lui est venue en conduisant. Et en pensant trop à son texte et à la musique il a failli heurter la voiture devant lui. Ce qui lui a fait trouver le fameux « OhOh cavallo » à la place de « Oh oh coglione ! »

Professeur, Roberto Vecchioni le reste en écrivant ce livre. La musique de Schubert confrontée à celles de Mozart et Beethoven, la pensée de Kant ou de Hegel, Pavese et Baudelaire, le cinéma avec « Les invasions barbares », sont magnifiquement expliqués et situés dans leur contexte. Sans oublier une joute mémorable entre le petit-fils et son professeur de littérature, joute qui mérite à elle seule la lecture de toutes ces lettres.

« Tra silenzio e tuono », entre le silence et la fureur, Roberto Vecchioni nous livre un roman construit de manière étonnante. Il raconte toute une vie avec tout ce qu’un homme peut et doit en attendre. Par son écriture simple et directe, il vient compléter une œuvre déjà riche de musiques et de textes emprunts d’une poésie pleine de rythmes et de constructions qui paraissent évidentes dès le premier mot, la première note.

Philippe Poivret

Tra il silenzio e il tuono

Roberto Vecchioni

Ed. Einaudi, 2024, 184 pages, 18 euros

Le site de Roberto Vecchioni : https://vecchioni.org/

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