L’histoire d’un fils d’immigrés italiens en Lorraine. Avec ses gants de boxe, il fut la fierté des emigrés italiens.

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la star de la cité du Tunnel à Auboué, c’était le petit Galli ! Il mesurait un mètre quatre-vingt-dix et pesait dans les cent kilos mais tout le monde, des nonna aux gamins de la rue, le surnommait affectueusement ainsi. Boxeur semi-pro, il faisait la fierté des macaronis. Ses coups lourds et dévastateurs l’avaient propulsé sur le haut de l’affiche. Il participa avec brio aux Jeux Olympiques de 1948 à Londres. Ce frappeur hors pair visait désormais le titre de champion de France. Une sacrée revanche pour un émigré de seconde zone !

Nous étions dans les années de fer et la sidérurgie était à cette époque flamboyante. Les hauts-fourneaux rugissaient de jour comme de nuit et la vallée de l’Orne ressemblait à une fourmilière frénétique où chacun, malgré le désordre apparent, avait sa place, son rang et sa fonction. Les patrons de l’acier veillaient à ce que tous les rouages de la mécanique infernale soient bien huilés.

Du mineur au lamineur, de l’ouvrier de base à l’ingénieur, tout le monde trouvait son compte dans ce labyrinthe de métiers épuisants et souvent mortifères. Les milliers d’émigrés qui trimaient dans cet antre du patriarcat avaient connu en Italie d’autres galères bien plus dramatiques pour se plaindre outre mesure. Ils avaient désormais un toit, un métier assuré et un avenir tout tracé. Les enfants avaient tous accès à l’école et au patronage. Les mères pouvaient enfin savourer ce temps de paix et de relative prospérité. La faim et la misère n’étaient plus qu’un lointain souvenir.

Quand on vient de la merda, on se contente d’un petit bout de ciel bleu ! Derrière ce paradis de façade, il y avait bien sûr cette petite musique nostalgique qui mettait le cœur en charpie. Les racines arrachées à la terre natale qui ne repousseraient jamais. Les souvenirs des nôtres à jamais enfouis dans la mémoire d’un temps révolu. L’autre Italie naissait sur les vestiges d’un passé sacrifié. Les soirs de combat les macaronis avaient le cœur qui chavirait. Ils sortaient tous dans la rue. Les hommes branchaient les radios à fond et déambulaient, allant et revenant chaque fois sur leurs pas tels des fous dans un couloir d’asile, en fumant cigarette sur cigarette. Ils hurlaient quand le speaker annonçait une droite ou un uppercut meurtrier du petit Galli sur la face de son adversaire. Quand ça tournait mal, ils crachaient par terre et balançaient des vaffanculo à la criée. La fébrilité gagnait toute la cité. Les ragazzi suivaient de près les pères et ne manquaient pas d’apporter leurs voix au concert d’injures et de hourras.

Les mères aux fenêtres tentaient bien de freiner l’ardeur de leurs hommes, petits ou grands, arguant que les bambini ne pouvaient pas s’endormir mais en vain, la liesse collective était dans sa phase la plus excessive car le combat tournait encore une fois en faveur du petit Galli qui claqua une gauche fatale qui envoya son adversaire au tapis. Et tous se mirent à compter à tue-tête avec l’arbitre. Dix…neuf…huit…sept…six… le speaker se tut un court instant car le pauvre bougre à terre tenta de se mettre à genoux… mais à cinq, il s’écrasa pour de bon sur le ring et on annonça la victoire du petit Galli par K.O. Gloire et fierté. Un macaroni champion de France et toute une cité à genoux devant son idole !

La revanche des plus pauvres contre l’élite en col blanc. La fête battit son plein pendant des jours, des semaines et des années, au fur et à mesure des combats gagnés. Quand il perdit une, deux puis trois fois d’affilée, son honneur en prit un sacré coup. Il raccrocha les gants pour toujours. L’ordinaire redevint la norme dans la cité. Le petit Galli rejoignit ses collègues dans les hauts fourneaux, lamineurs de père en fils. Un bon soldat des De Wendel, courageux et doux comme un agneau.

Dans les années soixante, je vivais à deux maisons de la famille Galli et comme tous les autres mômes, je connaissais par cœur l’histoire de notre héros national. Entre nous, on le comparait à Hercule, notre dieu vivant, celui qu’on allait voir sur l’écran du cinéma de patronage tous les jeudis. Ses exploits étaient autrement plus remarquables puisqu’il combattait à mains nues des monstres et des mutants. Mais on plaçait le petit Galli largement en deuxième position.

Pourquoi en ces temps de confinement et de mort annoncée, je me souviens de lui ?

Parce qu’aujourd’hui, les héros font pâle figure sur l’écran noir de nos nuits blanches avec leur comptabilité morbide à la con et leur iphone à la main. Le diable déguisé en virus n’aurait jamais eu une chance face aux héros de notre enfance.

Les morts en Italie ou d’ailleurs ne font plus de rêves. Ils sont K.O. pour toujours.

Jeff Gelli

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