Venise est une ville dans laquelle il faut se perdre…parfois. Il faut aussi rentrer dans les églises, les palais ou les musées. Ceux qui présentent un art dit classique mais aussi ceux qui présentent l’art d’aujourd’hui. Et la fondation Pinault avec le Palazzo Grassi et la douane de mer, tous les deux magnifiquement restaurés par Tadao Ando, est incontournable. Si le Palazzo Grassi accueille des expositions consacrées à un seul artiste, la douane de mer accueille des expositions à thème. Cette année « Luogo e Segni » (Lieu et Signes) est celui qui a été choisi.
Il fait référence à Etel Adnan, poète et artiste libanaise, dont le travail est exposé en ce moment au Mudam à Luxembourg. Véritable fil rouge de cette promenade dans des œuvres venues du monde entier, c’est une invitation à la découverte des liens, des correspondances, des affinités électives entre Etel Adnan et tous ces artistes, entre la musique, la poésie et les arts visuels.
Après avoir franchi un rideau de perles rouges et blanche, œuvre de Felix Gonzales-Torres qui évoque le drame du sida, on découvre une vaste pièce où sur les murs sont posés de longs bâtons sur lesquels sont inscrits des vers en anglais. « Night’s capacity varies, but morning is inevitable » par exemple. Il y en a sept, c’est un dialogue entre Roni Horn qui a conçu ces bâtons et Emily Dickinson. L’effet est saisissant devant la sobriété de cette installation posée sur des murs en pierre brute, dans une pièce vide, face à une poésie ouverte sur l’infini et le questionnement.
Un peu plus loin, après être monté au premier étage, le plancher d’une pièce est couvert de morceaux de ce qui semble être du verre mais qui est une mince couche d’eau qui ne se répand pas en raison de la présence d’un vernis hydrophobe sur ses bords. C’est l’idée d’une ou de plusieurs frontières. C’est aussi un dialogue avec la lagune et l’eau du grand canal que l’on voit à travers les fenêtres. Nina Canell est l’auteur de cette installation et ce n’est pas sans humour qu’elle a accroché au mur « Mucle Memory » fait de coquillage et d’un commutateur électrique pour montrer comment un muscle peut fonctionner !
« Direzione » de Giovanni Anselmo est un bloc triangulaire de granit dans lequel est inséré une petite boussole. Faite pour interroger, cette œuvre majeure de l’arte Povera, est la dure confrontation d’un objet élaboré à un objet brut comme la pierre. La boussole est aussi une allusion aux bateaux quittant Venise et la douane de mer.
Etel Adnan, enfin, qui ne clôt pas la visite mais que l’on découvre aux trois quarts du parcours. Un livre d’artiste, un long Leporello, DHIKR (Incantation) est un long chant, une longue plainte au milieu des bruits de la guerre à Beyrouth. A chaque explosion d’une bombe, Etel Adnan écrit le mot Allah sur un fond de traits de couleur pastel. Au mur est accroché un de ses tableaux « Untitled ». Une forme rouge au milieu de tons clairs évoquant une montagne sous un ciel bleu répond à DHIKR comme un écho dans lequel résonne cette envie de vivre, de montrer ce qui est beau sans rien cacher des multiples drames du monde.
Il faudrait aussi parler de tous les autres artistes présents mais il faut aussi se laisser guider, découvrir petit à petit des installations, des vidéos, des œuvres qui parlent de ce que nous vivons. Parfois surprenantes, dérangeantes ou incompréhensibles, il faut les regarder toutes, prendre son temps, voir ce qu’elles évoquent pour essayer de comprendre le monde d’aujourd’hui.
Philippe Poivret