May You Live In Interesting Times. Cette phrase, choisie par le commissaire Ralph Rugof pour nommer cette 58ème édition, est faussement prise pour un proverbe asiatique. Ce qui évoque, pour lui, une des problématiques de notre société actuelle : la confusion de plus en plus imperceptible entre fiction et réalité. Récemment encore, la sortie au grand jour de l’intelligence artificielle qui crée des photos hyperréalistes de personnes qui n’existent pas, en a été la preuve. Tromper son monde devient de plus en plus facile. En raison des nouvelles technologies, de la puissance de l’instantanéité des médias et, comme il le souligne, « des fakes news qui érodent les discours politiques et la confiance qui en découle », nécessairement, la méfiance augmente. Croire devient difficile.
Marco Godinho, artiste choisi pour représenter le Luxembourg à Venise, joue avec ce doux mélange caractéristique de notre époque. Il décide, entre fiction et réalité, d’offrir du temps à la nature pour qu’elle s’exprime, au travers d’un entre-
deux indéfini. » Written by Water « est un travail initié il y a six ans dans la baie de Gibraltar et poursuivi ensuite dans diverses villes bordant la Méditerranée. Par la répétition d’un geste qui donne du sens, à savoir l’immersion de cahiers dans l’eau, l’artiste caresse les concepts de déplacement, d’es-pace et d’appartenance.
Nomade, il collectionne ses déplacements et ses dialogues avec l’immensité, en baignant des pages dans la mer qui ainsi, s’exprime et imprime doucement sa mémoire sur les feuilles blanches. Au fil des ses recherches, Marco Godinho crée une archive d’« écrits de la mer » et comme à son habitude, il frappe délicatement. Libre, léger, précis, avec un engagement social et des valeurs fortes qui renforcent l’importance des choix de l’artiste, il propose un travail sensible dont la force intrinsèque vient de sa portée symbolique qui bouleverse. En un geste simple, il fait. L’action, si infime soit-elle, offre l’expression d’une pratique, d’une expérience, mais aussi et surtout la possibilité d’une renaissance à travers l’eau qui cache souvent de grands drames individuels et collectifs.
L’œuvre de Marco Godinho se rapproche de la philosophie du wabi-sabi qui joint la solitude, la plénitude, le « Sublime » (Edmund Burke) presque, que l’on peut éprouver face aux éléments naturels, à l’altération par le temps ou par l’homme. Pourquoi tenter de cacher les défauts, les cassures ? L’artiste s’y refuse. Il les respecte et grave l’impermanence. Livres, son, musique, vidéo, image, installation immersive : des traces de vécu… Marco Godinho nous fait languir.
Comment choisira-t-il de transformer l’espace pour nous inonder de sa poésie ? La hâte est grande et dans l’attente, quelques images du travail en cours sont d’ores et déjà à découvrir sur son profil Facebook. Une relation intime avec l’eau, des livres baignés et entraînés par la houle, des hommes face à l’immensité du monde. Un romantique.
Du 11 mai au 24 novembre 2019
Pavillon luxembourgeois, Arsenal, Venise
www.luxembourgpavilion.lu
www.marcogodinho.com
(Philippe Poivret)