Mario Rigoni Stern est né en 1921 dans le nord de l’Italie, sur le haut plateau d’Asiago, une région de forêts et de montagnes auxquelles il restera profondément attaché. Après la guerre, la nature sera au centre de ses préoccupations et des livres qu’il écrira. Mais avant toute chose il est celui qui a vécu et témoigné de la vie des soldats au front, dans les camps de prisonniers et dans la retraite qui sera le thème de son livre le plus connu, Le sergent dans la neige.
Sans avoir vécu la Grande Guerre, il en raconte les effroyables combats entre soldats italiens et forces austro-hongroises dans L’année de la victoire. 28 000 Autrichiens et 30 000 Italiens sont enterrés près de son village natal. Tous les habitants « sentaient d’instinct qu’ils appartenaient à ces décombres de maison, à ces bois qui n’avaient plus d’arbres vivants, à ces pâturages sans herbe verte ». Tout avait été rasé et le souvenir de la guerre est encore omniprésent sur ce plateau glacial, sur cette « terre dont personne ne voulait car elle était isolée, difficile à atteindre, sauvage, c’est-à-dire couverte de robustes forêts ». Une fois la paix revenue, c’est la vie qui reprend, guidée ou forcée par la nature : « une légère pluie de printemps vous lavait de la guerre avec une odeur nouvelle de bois qui revit ».
Mario Rigoni Stern raconte comment la reconstruction des habitations à partir de ruines, la destruction des restes d’un canon ont permis aux habitants du haut plateau d’Asiago de reprendre le cours de leur vie. Dans tout son œuvre, la guerre et la paix sont en filigrane et guident l’histoire. L’espoir, le sens des responsabilités, lui imposent de ne jamais renoncer à ramener les hommes qu’il commande à la maison. A l’âge de 17 ans il rentre à l’école militaire d’alpinisme d’Aoste ce qui le conduit à combattre en France, en Grèce et en Albanie puis en Russie aux côtés de l’armée allemande. Fin 1942, les Italiens et les Allemands battent en retraite face aux forces russes et le sergent Rigoni Stern doit guider ses hommes, en plein hiver, dans l’immense plaine russe. C’est l’histoire du Sergent dans la neige. Rester unis et solidaires est le premier ordre qu’il donne et c’est ce qui lui permettra de ramener quelques-uns de ses hommes à la maison. Un épisode de cette retraite fait penser à la fraternisation qui a eu lieu entre Français et Allemands lors de la première guerre mondiale dans les tranchées. Transi de froid, affamé et épuisé, Rigoni Stern arrive dans une isba pour se reposer et se réchauffer quand il se retrouve nez à nez avec des soldats russes en train de manger. Mais les Russes le regardent sans prendre leurs fusils.
Il mange l’assiette qu’on lui donne et ressort indemne, stupéfait de sa chance, incapable de comprendre ce qui était arrivé. Trente ans après il retourne sur le Don, la rivière qui séparait les troupes italiennes des troupes russes. Les deux armées se faisaient face et chaque camp pouvait entendre ce que le camp adverse disait. Mario Rigoni Stern revoit les endroits où il a combattu. Ils ont retrouvé la paix, le silence.
Et il se souvient d’une image qu’il avait vue en 1943 et qui l’a aidé pendant des années, à vivre :
une colline noire avec un ciel rouge à l’horizon et un paysan qui laboure son champ, solitaire. Un cheval blanc et maigre tire la charrue et la longue perche que le paysan tient dans sa main, semble soutenir le ciel. Sorti de l’enfer, Mario Rigoni Stern avait encore la force et la lucidité pour voir l’harmonie entre un paysan et la nature et comprendre que la vie allait continuer avec le travail de la terre et la récolte de l’année à venir. Mario Rigoni Stern est mort en 2008 à Asiago. Il a gardé la foi dans l’homme même après deux conflits mondiaux et des millions de morts.
Philippe Poivret