Un court-métrage puissant du réalisateur Victor Ridley (2023, Belgique, Hum Hum Productions) qui met en scène avec finesse l’expression des traumatismes d’un jeune exilé. Time For Equality a invité, le dernier 19 mars, le réalisateur à présenter le film aux Rotondes, dans le cadre d’Expressions of Humanity et à échanger ensuite avec un panel d’experts et le public, sur des thématiques encore largement invisibles ou sous-estimées. Interview
Quelle est l’origine de ton court-métrage ?
Il y a quelques années, j’ai réalisé un documentaire, “Asile“, dans lequel j’ai suivi Sahil, un jeune afghan de 15 ans, en Belgique pendant toutes les procédures d’asile qu’il entreprend. La question que posait le film était “Comment peut-on s’intégrer dans un pays dans lequel on ne sait pas si on va pouvoir rester” ? Sahil a eu plusieurs négatifs. Cette « troisième mort » comme il l’appelait lui-même a réouvert des blessures, des traumas qu’il a subi lors de son exil. Cette souffrance qu’il portait en lui s’est exprimée en hallucinations post-traumatiques. Pour sortir de celles-ci, le seul moyen qu’il avait était de se scarifier les avant-bras. Ces résurgences de ses traumas l’ont amené à l’hôpital psychiatrique. Dans le documentaire, je n’aborde ces traumas qu’en surface et j’avais envie d’approfondir le sujet en écrivant un court-métrage.
Je me suis posé beaucoup de questions sur les chocs et les hallucinations post-traumatiques des migrants et j’avais envie d’explorer cela de manière plus détaillée et profonde dans un court-métrage de fiction. Je voulais essayer d’amener le spectateur dans le quotidien d’un jeune qui est atteint d’un choc post-traumatique, l’amener à vivre ce que c’est. Le but était de dépasser le côté hermétique que ces symptômes peuvent avoir d’un point de vue extérieur et d’essayer d’entrer dans la psyché d’un jeune qui est confronté à cela. C’était tout le défi. J’ai fait beaucoup de recherches, discuté avec des psychiatres, des psychologues pour comprendre ce que sont exactement les symptômes du stress post-traumatique, et le transposer dans une histoire fictionnelle où ces hallucinations puissent raconter l’exil du personnage principal.
C’est ton premier film de fiction?
Je me suis dit que c’était l’opportunité de me lancer dans la fiction, de pouvoir utiliser ce médium, à travers le son et l’image, pour explorer la psyché du personnage principal. Écrire et réaliser une œuvre de fiction interprétative et sensorielle. J’avais besoin de la fiction pour exprimer ce qui me travaillait. C’est venu assez naturellement pour raconter cette histoire.
Le lien est un des thèmes forts, une sorte de fil conducteur, dans le film et l’histoire du personnage principal.
J’avais envie d’explorer cinématographiquement les traumas et les hallucinations. Je voulais raconter l’histoire d’un jeune qui a perdu un lien avec un membre de sa famille, mais qui en même temps a un lien avec une personne dans l’hôpital. Il y a beaucoup de choses, en fait, que j’ai appris, par exemple que quand on va mal, on s’isole ; on n’a pas envie d’être seul, mais on s’isole parce qu’on ne sait pas expliquer ce qui arrive. En plus, il y a une part de honte à être si mal. Il y a une sorte de coupure avec le monde extérieur et il me semblait important d’amener l’histoire des liens dans le film. Comme le lien dans le présent se rompt, le personnage est ramené dans son passé, et ça décuple son PTSD.
Raconter cette histoire en partant du lien était important pour moi. En effet, le jeune que j’ai suivi (pour le tournage d’”Asile”, ndr), avait aussi envie de quitter la famille d’accueil dans laquelle il était après ses scarifications, pour aller en hôpital psychiatrique, c’est lui-même qui l’a demandé. Donc il y avait une envie de sa part de s’isoler, mais en même temps de ne pas être seul. Il y avait une ambivalence : on s’isole, mais on s’isole en fin de compte par honte, peut-être aussi par peur de faire du mal aux autres. A partir de ce constat, de cette réflexion que j’avais, dans l’écriture je me suis assez naturellement concentré sur le lien, qui en fait est le fil conducteur de l’histoire et de ce qui traverse le personnage principal, aussi bien dans son présent que dans son passé. Ahmad a fait une promesse à sa sœur qu’il n’a pas pu tenir. Le départ de l’hôpital de son amie Alice fait écho à cette perte du passé et replonge Ahmad dans les méandres traumatiques de son passé.
Quelles étaient tes attentes pour le rôle d’Ahmad ? L’interprétation du jeune comédien Aziz Temori est absolument remarquable.
Pour jouer le personnage principal, je voulais travailler avec un jeune afghan. J’ai mis des annonces dans des centres, mais je n’ai eu que des réponses négatives, donc c’était un peu compliqué. Et puis, un peu par hasard, via une connaissance, on m’a parlé d’un jeune comédien afghan, qui avait déjà joué dans des pièces de théâtre en Belgique. J’ai donc rencontré Aziz comme ça.
Une condition importante pour moi était de ne pas travailler avec un jeune atteint d’un trauma. Je ne voulais pas risquer que la préparation du film et le tournage ne réveille des symptômes, ne ravive des douleurs.
Aziz est parti lui aussi d’Afghanistan. Il a fait tout le trajet mais n’avait pas de symptômes post-traumatiques. Très vite après notre premier rendez-vous, je me suis rendu compte que jouer c’était quelque chose qu’il faisait depuis son adolescence. C’était une passion pour lui dans laquelle il s’investissait énormément. On s’est très vite décidé à travailler ensemble pour réaliser le film dans lequel il a interprété le rôle d’Ahmad. C’était une évidence après le premier casting.
J’ai été soutenu dans la réalisation de ce film par toute une équipe très douée. Sans eux, ce film n’aura pas pu exister comme il est aujourd’hui. C’est pareil pour tous les films. C’était vraiment un travail collectif.
Qu’est-ce que tu pourrais dire à des jeunes qui s’intéressent au métier de cinéma ?
Si on a envie de faire du cinéma, c’est de faire des films qui nous parlent, où il y a un vrai besoin de raconter une histoire. Ce n’est pas juste une envie, c’est le besoin de raconter une histoire, de traiter un sujet. Et après de foncer, foncer et tester les idées cinématographiques qui nous traversent.
Propos recueillis par Rosa Brignone
Victor RIDLEY (1989, Bruxelles)
Après avoir obtenu un master en réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion et réalisé son documentaire de fin d’études “Envoles” en 2013, il combine l’assistanat réalisation (La Trêve, Des gens bien, Le cœur noir des forêts…) avec l’écriture et la réalisation de ses propres films “Vaarheim”, “Asile”, “Tu préfères rester seul” ? Depuis plusieurs années Victor Ridley s’intéresse de près aux histoires de jeunes adolescents en pleine construction d’identité. Dans son premier court-métrage de fiction Tu préfères rester seul ? il poursuit l’exploration des sujets initiée dans son documentaire Asile (2019) en mettant en scène les traumatismes d’un jeune exilé.
https://www.instagram.com/victorridley/
Tu préfères rester seul ?
Un film de Victor Ridley, réalisateur, scénario
Court-métrage, fiction |BE| 2023 | (22′) Hum Hum Productions
En français et dari | Sous-titres en français
Interprétation: Elsa Houben (Alice), Aziz Temori (Ahmad)Distinctions
– Grand Prix du festival “Le court en dit long », Paris
– Prix interprétation masculine: Aziz Temori
Sélections: Rhode Island Film Festival, FIFF Namur, Festival international Music et Cinéma Marseille